Le shell a la faculté de lancer de nombreux programmes, sinon tous. C'est une des raisons pour lesquelles on peut dire que c'est un outil extrêmement puissant.
Lancer un programme, c'est créer un processus. Tautologisons : un processus est une instance d'exécution d'un programme, c'est-à-dire l'exécution particulière d'un programme universel (i.e qui n'est pas réductible à l'une de ses exécutions).
Par exemple, si je lance Mozilla, un processus se crée, du nom de
mozilla
. Ensuite, sans fermer ce programme, je lance une
deuxième fois Mozilla ; un nouveau processus se crée, du nom
de mozilla
également. J'ai donc deux processus
distincts, même s'ils concernent le même programme. Et à chaque
fois que je lance un programme, un processus se crée.
Dans notre exemple, nous avons deux processus
mozilla
. Ils sont indépendants l'un de l'autre :
quoi qu'il puisse se passer dans l'un, cela ne devrait pas influer sur
le comportement de l'autre.
Toutefois, s'ils sont indépendants l'un de l'autre, tous deux
dépendent du processus qui les a lancés. Eh oui, le shell
est un programme comme un autre, donc chacune de ses exécutions
correspond également à la création d'un processus. Si
vous lancez trois shells en même temps, par exemple dans trois
terminaux différents, vous aurez trois processus shell
distincts.
Les processus entretiennent entre eux des relations de parenté. Mais comme les processus ont tous le même sexe, chaque processus n'a qu'un parent. Un processus peut avoir plusieurs enfants.
Le shell est, comme nous venons de le voir, un processus qui
peut enfanter d'autres processus. Par exemple, à chaque fois
que je tape mozilla
, mon shell crée un processus
mozilla
.
Par défaut, le shell met le processus enfant en avant-plan. Cela veut dire que si je tape simplement :
chaland ~ mozilla
le processus mozilla
prend la main, et le shell ne
réagit plus (il n'affiche même plus l'invite de commande) avant
la fin du processus enfant. Ce n'est que lorsque le processus
mozilla
prend fin (si je ferme ce programme, par exemple)
que le shell reprend la main.
Ce comportement par défaut n'est parfois pas très pratique. Par exemple, si je veux lancer Mozilla, mais aussi Emacs et d'autres programmes qui s'ouvrent dans leur propre fenêtre, je suis obligé d'ouvrir à chaque fois un nouveau terminal avec un nouveau shell, et ce uniquement pour y taper une commande, après quoi le shell se retrouve inutilisable jusqu'à la fin de chacun de ces programmes.
Il faudrait donc que l'on puisse lancer des processus enfants en arrière-plan, de telle sorte que ces processus se lancent dans leur propre fenêtre et me permettent toutefois de dialoguer avec le shell sans avoir à :
Pour cela, il faut ajouter le signe « & » à la fin d'une ligne de commande. On peut ainsi taper :
chaland ~ mozilla & chaland ~ mozilla & chaland ~
et de la sorte, un même shell peut engendrer autant de processus que vous voulez.
La vie est déjà plus pratique comme cela. Mais parfois, on
aimerait que le processus enfant survive au processus parent. Car par
défaut, la mort d'un processus parent entraîne celle de
tous ses enfants. Par exemple, si le shell qui a enfanté les
deux processus mozilla
vient à décéder (si je le
ferme brutalement, ou s'il plante), les deux processus
mozilla
le suivront dans la mort.
Il faudrait donc qu'un processus parent puisse émanciper des processus enfants, pour que sa propre mort n'entraîne pas les leurs. Pour cela, il faut utiliser les symboles « &! ». Par exemple, si je tape :
chaland ~ mozilla &! chaland ~ mozilla &! chaland ~
puis que je ferme brutalement le shell en tapant
Ctrl-D et en ignorant d'éventuels avertissements, le shell
disparaîtra, mais pas les processus mozilla
.
Jusqu'ici, l'exemple de processus enfant que nous avons pris
était relativement simple : il s'agissait de la commande
mozilla
, que l'on peut lancer en tapant simplement son
nom.
Jusqu'ici, on peut se dire que la ligne de commande, c'est comme quand on clique sur une icône, sauf que c'est plus fatigant. Effectivement, pourquoi se fatiguer à taper une suite de caractères quand il suffit d'appuyer une ou deux fois sur le bouton d'une souris ?
C'est dans l'usage des arguments et des options que la ligne de commande commence à révéler une partie de sa puissance, et de sa nette supériorité sur les interfaces graphiques.
Un argument est une suite de caractères que l'on donne à une commande et qui lui indique comment se comporter. Les options sont un type d'argument.
Par exemple, si je veux ouvrir le fichier hermocrate.txt
avec l'éditeur de texte nano
, j'ai le choix entre deux
possibilités :
chaland ~ nano
puis Ctrl-R pour indiquer d'ouvrir un fichier, puis Ctrl-T
pour voir la liste des fichiers, puis les flèches pour choisir mes
fichiers, enfin Entrée pour sélectionner
hermocrate.txt
— mais tout cela est bien
fastidieux ; chaland ~ nano hermocrate.txt
Ou encore, pour reprendre l'exemple de Mozilla, si je veux aller voir la page des tuteurs et que ce n'est pas ma page d'accueil par défaut (ce qui est un tort !), je peux taper :
chaland ~ mozilla http://www.tuteurs.ens.fr/
Les options sont un cas particulier d'arguments, qui donnent au programme que l'on exécute toutes sortes d'information, souvent plus ou moins périphériques, en général moins importantes que les arguments.
Sous Unix, les options commencent généralement par un tiret. Certaines options peuvent à leur tour prendre des arguments.
Par exemple, si l'on veut ouvrir un fichier au format MS-DOS, on peut taper :
chaland ~ nano -D hermocrate.txt
L'option -r
de nano
prend un argument ;
ainsi, si l'on veut que Nano coupe les lignes au bout de 75
caractères, on doit ouvrir Nano en tapant :
chaland ~ nano -r 75 hermocrate.txt
Traditionnellement, et pour des raisons de concision, la majorité des options, sous Unix, est composée d'un tiret et d'une seule lettre. Toutefois, pour des raisons pratiques, il peut également exister des noms d'option longs ; ils sont en général précédés, non d'un, mais de deux tirets. Exemple :
chaland ~ nano --fill=75 hermocrate.txt
Dans cet exemple, il se trouve que l'option à nom
long --fill=
équivaut à l'option à nom
court -r
. Mais toutes les commandes courtes n'ont pas
systématiquement leur équivalent à nom long, et vice versa.
Il est souvent ennuyeux d'avoir à taper une longue liste de fichiers pour les donner en arguments à une commande, comme :
cc -o foo bar.c gee.c buz.c gog.c
(pour les curieux, sachez que cette commande sert à compiler un programme écrit en langage C, c'est-à-dire à le traduire en langage machine. Mais avant de vous mettre au langage C, attendez de bien connaître le shell, il vous apprendra plus facilement et plus agréablement les bases de la programmation...)
Pour éviter les problèmes liés à la frappe de longues lignes de commandes, on peut utiliser des jokers (wildcards en anglais). Pourquoi ce nom ? Eh bien, dans certains jeux de cartes, le joker permet de remplacer n'importe quelle carte ; dans le shell, les jokers permettent de remplacer n'importe quel caractère ou n'importe quelle séquence de caractères.
Il existe principalement trois types de jokers :
Une étoile *
dans un nom de fichier est
interprétée par le shell comme « n'importe quelle séquence de
caractères » (mais ça ignore les fichiers dont le nom commence par un
point). Exemple :
cc -o foo *.c
Pour interpréter l'étoile, le shell va faire la liste de tous les noms de
fichiers du répertoire courant qui ne commencent pas par .
et
qui finissent par .c
. Ensuite, il remplace *.c
par cette liste (triée par ordre alphabétique) dans la ligne de commande, et
exécute le résultat, c'est-à-dire par exemple :
cc -o foo bar.c buz.c foo.c gee.c gog.c
On a aussi le point d'interrogation ?
, qui
remplace un (et exactement un) caractère quelconque (sauf un point en début
de nom). Par exemple, ls *.?
liste tous les dont l'extension
ne comporte qu'un caractère (.c
, .h
...).
La forme [abcd]
remplace un caractère quelconque parmi
a
, b
, c
, d
. Enfin,
[^abcd]
remplace un
caractère quelconque qui ne se trouve pas parmi a
, b
,
c
, d
.
echo /users/*
affiche à peu près la même chose que
ls /users
(La commande echo
se contente d'afficher ses arguments.)
Attention :
mv *.c
*.bak
, car le shell va passer à mv
les arguments
foo.c bar.c foo.bak bar.bak
, et mv
ne sait pas
quel fichier remplacer. rm *
~
, le shell remplace l'étoile par la liste des fichiers présents,
et ils seront tous effacés. Si vous tapez rm *~
, seuls les
fichiers dont le nom finit par un tilde seront effacés. Interlude : comment effacer un fichier nommé
?*
? On ne peut pas taper rm ?*
car le shell
remplace ?*
par la liste de tous les fichiers du répertoire
courant. On peut taper rm -i *
qui supprime tous les
fichiers, mais en demandant confirmation à chaque fichier. On répond
n
à toutes les questions sauf rm: remove ?*
.
Autre méthode: utiliser les mécanismes de citation.
Avec tous ces caractères spéciaux, comment faire pour passer des
arguments bizarres à une commande ? Par exemple, comment faire
afficher un point d'interrogation suivi d'une étoile et d'un dollar par
echo
?
On ne peut pas les taper directement dans la ligne de commande (ici,
avec le shell zsh
), car le shell essaye de les interpréter
comme des jokers :
chaland ~ echo ?*$
zsh: no matches found: ?*$
Il faut donc indiquer au shell de ne pas interpréter ces caractères comme des jokers. Pour cela, nous allons utiliser des mécanismes fournis par le shell : les quotations (mot anglais signifiant citation).
Les mécanismes de citation sont les suivants :
\
), qui protège un caractère de
l'interprétation par le shell ;'
), qui protègent une chaîne de caractères de
l'interprétation par le shell ;"
), qui protègent également une chaîne de caractères
de l'interprétation par le shell, mais avec plus de souplesse que les
précédents ;`
), qui cite la
sortie d'une commande.\
)Il suffit de précéder un caractère spécial d'un backslash, et le shell remplace ces deux caractères par le caractère spécial seul. Évidemment, le backslash est lui-même un caractère spécial.
Exemples :
chaland ~ $ echo \?\*\$ ?*$ chaland ~ $ echo \\\?\\\*\\\$ \?\*\$
'
)
Un autre moyen est d'inclure une chaîne de caractères entre apostrophes
(simples quotes) '
. Tout ce qui se trouve entre deux
apostrophes sera passé tel quel par le shell à la
commande. Exemple :
chaland ~ $ echo '$?*'
$?*
"
)Les guillemets se comportent comme les apostrophes, à une exception près: les dollars et les backslashes sont interprétés entre les guillemets. Exemple :
chaland ~ $ echo "$HOME/*"
/users/87/maths/doligez/*
Une technique utile: Quand on juxtapose deux chaînes de caractères quotées, le shell les concatène, et elles ne forment qu'un argument. Exemple :
chaland ~ $ echo "'"'"'
'"
Quant aux interactions plus compliquées (backslashes à l'intérieur des
guillemets, guillemets à l'intérieur des apostrophes, etc.), le meilleur moyen
de savoir si ça donne bien le résultat attendu est d'essayer. La commande
echo
est bien utile dans ce cas.
`
)
Dernière forme de citation : `commande`
. Le
shell exécute la commande indiquée entre backquotes, lit la
sortie de la commande mot par mot, et remplace `
commande `
par la liste de ces mots.
Exemple :
chaland ~ $ echo `ls` Mail News bin foo lib misc mur notes.aux notes.dvi notes.log notes.tex planar text chaland ~ $ ls -l `which emacs` -rwxr-xr-t 1 root taff 978944 Jul 16 1991 /usr/local/bin/emacs
La commande which cmd
employée ci-dessus affiche sur sa
sortie le nom absolu du fichier exécuté par le shell quand on lance la
commande it cmd :
chaland ~ $ which emacs
/usr/local/bin/emacs
Vous êtes maintenant en mesure de faire ces exercices pour vous entraîner. Ou bien vous pouvez revenir à la page centrale sur le shell, d'où vous pourrez vous orienter vers d'autres parties du cours.